Parce
que « La Nuit », je rêvasse à la mienne, aux miennes, à toutes
celles qui m’ont illuminée ou abattue, à mes nuits phares éteints
ou allumés, à mes nuits écueils, à cette encre noire, abyssale,
qui chaque jour nous ramène à l’amniotique océan.
Me
reviennent alors et d’abord, les nuits noires de mon enfance,
réelles ou imaginaires, mais noires, toujours noires. Les monstres
du placard que personne ne voyait, les
guerriers qui descendaient de la tenture accrochée au mur, la
maladie du Papa qui attendait toujours le soir pour hurler et criser
plus fort, cette mort flânante, que j‘évitais en allant m’asseoir
dans les escaliers, regardant le ballet des grands qui couraient, le
« Docteur », sa voix … les petites fleurs de ma robe de chambre «
matelassée » qui faisait
tâche dans ce grouillement de risques nus et non ouatinés. Et mon
chat qui n’était pas rentré ce soir, en plus, mon chat que
j'imaginais en danger, que j‘aurais voulu sauver, rien qu’avec
ma pensée puisque les volets étaient tous fermés…
De
cette enfance, aussi, les nuits de rires et de batailles
fraternelles, des trouilles scénarisées que les plus grands
offraient à leurs cadets, vicelards et joyeux à la fois. Les
premières transgressions aussi, la loi ne s’appliquait plus dans
mon noir …
Me
reviennent aussi mes sublimes nuits sauvages, de désirs éclatants
et combien éclatés, qui nous embullaient à jamais du tiède
ordinaire, comme Dieux et Déesses de seul plaisir, presque barbares.
Puis les nuits d’arrachement, d’arrache amants, pas moins
sauvages, tellement plus assassines…
D’autres
nuits de chevet, une main qui prend la sienne, les lèvres sans cesse
revenues sur ce front aimé, chéri, brûlant aussi.
Derrière,
derrière celles-ci,
mes nuits de plume, de crayon, de pinceau, de silence ou de musique
qui se rappellent inexorablement les brûlures précédentes.
Celles-ci je
les ai égoïstement arrachées au monde. Du que pour moi, sur mesure
taillé et à même la chair.
Prosaïquement,
me reviennent aussi les visages de pions d’internat que j‘allais
« consulter » pour connaître un peu de l’envers de mes élèves
afin de mieux m’ajuster à eux. J‘aimais
beaucoup le regard de ces « gardiens » de nuit, ils m’ont ouvert
nombre de caboches donjons … Nombre de sentiers invisibles qui me
permettaient d’aller vers de jeunes humains entiers, pas à ces
moitiés fantomatiques qui s’asseyaient devant moi, rebelles ou
pas, mais utilisés, c’est sûr, à des desseins qui en les
dépassant, nous dépassaient en même temps.Se
pointe aussi, dans ce désordre que j‘aime tant, ce droit à la
sortie de nuit, ce « devenir grand » qui m’a échappé jeune,
partie trop tôt du nid, mais que j‘ai filé à m :es mômes,
comme çà, à l’inspiration … Alors là, toi, t’en perds même
le savoir lire, mais très détendue, hein, marchant d’une fenêtre
l’autre, la jouant « Ouhhh magnifique ciel ce soir, et hop, un
regard vers cette
pendule… Bon, ben tiens, vais aller faire un tour à la fenêtre …
Au retour, mais t’es super cool, t’as bien fait de garder ce
bouquin à la main, t’as l’air moins con ! Te racontent, ou pas,
beaucoup quand même ! Sont cons ou quoi, je n’aurais jamais avoué
ces truc là
!
Certes
ils n’ont pas fait pire que toi, loin s’en faut ! Mais….Justement
! Et
ces rêves parfois cauchemars, peu importe, dont certains m’ont
imprégnée à jamais, m’ont même métamorphosée… Mais chut, à chacun ses décodages, ne nous en Freudons point, ce serait dommage !
Et pour avoir déjà idée de la voix du rêve, il y a plus direct, plus accessible : le troquet, l’estaminet, mal fagoté c’est mieux. Les asiles des nolanders qui s’évanouissent quelques heures de l’obscurité et s’autorisent à être ce qu’ils sont ou ne sont pas, ce qu’ils auraient voulu être, ce qu’ils ne parviennent pas à inscrire clairement dans ce trop réel jour. La nuit repeinte, bistrotière et criarde, palpable pourtant jusque dans son invisible. Un regard perdu, des larmes échappées, des déclarations imprévues, fortes et si timides, des déraillages brutaux, des mots doux comme tombés par accident, des solitudes rassemblées autour d’un groupe de fêtards bonhommes et si diurnes façon champagne finalement..
Quant au sommeil, la grande affaire de nos nuits, d’après ce qu’il se dit, et bien je n’ai rien à dire, je n’étais pas là, me demande même si il faisait nuit, il m’arrive si souvent de somnambuler mes jours !
Putain de nuit quand même, quelle éclaireuse quand on accepte sa totale
obscurité !
Imprenable nuit que nos objectifs traquent sans cesse et qui les prend toujours
au dépourvu…
Ce ne sera jamais elle que tu prendras, elle est en toi…
Voilà quelques traits de nuit, juste comme çà, même pas tracés …